libres comme le sable du désert
une vague éphémère
une voile qui faseye à l’horizon
un chant perdu au fond de l’océan
une feuille emportée par le vent
et le souffle de l’air
et le chant de l’oiseau
libres comme l’encre des mots
le temps arraché aux heures surannées griffe les cieux
lueurs languides lambeaux de vie
poussières d'or fin drapé d'étoles boréales
amas d'étoiles galactiques éparses dans les nues
L'enfant nu dans son lit innocent rêve
d'épopées fantastiques échappées
de paradis depuis longtemps perdus
dans le souffle des nuits
et l'écume du vent
demain viendra l'aube de l'infini
poème d’un jour
poème de toujours
qui dit le temps qui va
et qui s’en va
et qui n’en finit pas
d’aller
et devenir ressac de mots toujours
ressac de mots d’amour
et l’infini sans aller ni retour
premières amours et seins altiers
ineffables délices des moiteurs apothéotiques
abreuvées de caresses exaltées
réminiscences
les parfums
capiteux autant que délétères
et les voix éraillées
et les rires égrillards
et les bouches goulues
et la pulpe des lèvres
et les baisers suaves
femmes lascives
tous les sens embrasés
et la concupiscence
la poésie
- la politesse du désespoir
Un jour je te dirai pourquoi j’écris. La poésie s’arrange toujours ; il suffit d’être là, truelle en main et sueur suintant au soir, comme un maçon.
Léo Ferré
Technique de l’exil

fragments d’os
et cris de haine
des larmes
du sang
l’amour toujours étale
entre flot et jusant
toujours la mer viride
le ciel toujours clément
et toi
nue comme un vers
jamais dit jamais écrit
l’âme usée
d’avoir tant abusé du néant
- et ta voix
noyée dans les vagues du temps
spectateur unique et solitaire
subjugué par la nuit
— et le silence d’un ciel grandiloquent
incendié d’étoiles
myriades de pépites
semées sur cette toile nue
par un peintre inspiré
nul bruit
être assis là longtemps
muet d’admiration
âme emplie d’un bonheur
intense et volatil
immense et merveilleux
des mots polis comme le granit rond des rivières
où coule et bruit l’eau depuis des millénaires
des sourires d’ombelles fiancées aux rosées matinales
quand le ciel rougit de les entendre dire
leurs rêves interdits
des senteurs nacrées qui essaiment à l’ombre
de tombes anonymes honteusement cachées
au fond des cimetières
tout me manque

le grand silence est là
partout dégoulinant
comme l’araignée qui tisserait sa toile
et nous prendrait dedans
comme un héros sans le renom
comme une fleur sans le fruit
comme un bateau sans les amarres
comme la cage sans l'oiseau
comme une mère sans l’enfant
comme la mer sans les vagues
comme la jument sans l’étalon
comme une chanson sans les paroles
comme Éloïse sans Abélard
comme l’abeille sans le miel
comme la lampe sans Aladin
comme un prophète sans prédiction
comme l’avers sans le revers
comme un monarque sans sujets
comme une plante sans la sève
comme la vipère sans le venin
comme ce Poème
sans rime ni raison
épris de ton corps jadis
de ton âme amoureux
– mais muet plus qu’une tombe
accablé de chagrin
le cœur en berne après
et rongé de remords
comme par un acide
attendant – c’est tout ce qu’il m’en reste
– la caresse du vent
fragile et mortel vieillard
né d'un enfant innocent
– bientôt emporté par l'oubli
j'irai me fondre dans la nuit.
sombrer dans des sommeils illuminés d'astres
obscurs, veiller des soleils noyés de brume
abandonner la terre fuir ses désastres
voguer sur des vaisseaux coques fendant l'écume
et saluer l'arrivée d'armées d'étoiles
qui trouent la laque noire des nuits blanches
comme des linceuls se devinent leurs voiles
gonflées outres vides ventres creux
et les manches des grands mâts qui grincent et grimacent de froid
les vents aussi burinent la face et les mains
des marins cherchant des yeux vers le Sud la Croix
aventuriers livrés à des travaux herculéens
venus aux Rugissants affronter les brisants des caps légendaires
et regarder leur âme allégée
s'élever enlevée par les vents violents et merveilleux
dans le creux de la lame
pour gagner d'étonnantes contrées
dans ces cieux
où simples hommes ils deviennent pourtant dieux

insatiable de toi
mon antre ma caverne
tu me vois comme affamé de toi
offre-moi ton festin
invite-moi cruelle à abuser de toi
pour apaiser cette fringale
et boire à ton calice
ton élixir souverain

j’avais besoin d’amours désabusées et faciles
j’avais besoin de joies intempestives
comme les filles du même nom
ton sourire canaille m’a caressé
là où ça faisait grand bien
l’âme ragaillardie j’ai soulevé ta jupe
après, je ne sais plus


faune sauvage j'incendierais ta savane
femelle de désir affamée et tes sens
affolés par ma danse, mon chant ma pavane
- mon animale que parfument les essences
du benjoin du myrte de l'encens - j'irais
pour t'écouter feuler dans ta lande nomade
j'entrerais dans ton antre et je t'y attendrais
sur ton ventre étendu rêvant de sérénade
j'assècherais ta source chaude et délicate
m'abreuverais des eaux de ton lac écarlate
j'y laverais ma peau ma fourrure mes os
là je t'épouserais là tu m'épuiserais
tu me prendrais jusqu'à mon nom - je te rendrais
mes oripeaux mon âme mes armes mes mots


et dans ton sexe obscur j'abreuverai ma bouche
assoiffée de tes senteurs musquées
j'imprimerai mes lèvres sur tes lèvres
m'enivrerai à ta source ton ventre
j'en ferai ma tanière mon antre
mais si mes mots t'offusquent
je quitterai ta couche
sans un murmure sans un bruit
et de l'or intense de tes yeux
à jamais je garderai de quoi nourrir
ma solitude et mon ennui
le brasier de tes yeux
nos cœurs incandescents
tes lèvres tes dents ta langue
et ta salive aussi
ta peau
plus douce qu'un soupir
tes seins de soie et de satin
qu'emprisonnent mes mains
tes reins qui épousent les miens
la friche de ton ventre
velours de mes nuits
j'entre en toi
je m'y love m'y tends
dans l'espère de toi
qui m'étreins et m'attends
tel un poulpe livide
mon amour d'un jour
mon amour de toujours
à ta flamme à ton bûcher
j'ai vainement cherché
à tremper l'acier de cette épée
qu'en ton fourreau j'aurais aimé glisser
- fente épicée sous son parfum de seringa
- pour t'écouter tigresse fauve feuler offerte
écartelée brûlante comme une chatte sur un toit
et soulever ton corps et ton âme emporter
et me perdre en ton antre incarnat
battu brisé démantelé
et sucer suave et doux ce sein grenat
- réminiscence d'une enfance oubliée
à l'innocence désabusée
juste un rêve nimbé d'une beauté
sucrée comme l'odeur du seringa

là-bas le ciel
et là-bas la lumière
comme au bout du tunnel
où s'étirent les ombres des Hommes
démesurément
et s'inscrivent aux murs
de leur indifférence
leurs mots muets et silencieux
et dansent leurs regards absents
dans la poussière d'or des caravansérails
tous leurs rêves d'enfant
passent les heures et passent les secondes
l'âme du vent d'ébroue
l'obscurité geint
bientôt l'aube l'air pur le ciel lavé
l'horizon zinzolin
les perles de rosée
le jour enfin
l'impermanence des choses
les océans les continents
les vents et les tempêtes
le tonnerre les éclairs
l'air l'eau le feu la terre
le temps qui fuit au rythme des saisons
tout se perd
rendez grâce à la vie
qui foisonne
et vous tire du lit
matin après matin
vous offrant sur un plateau d'argent
la joie précieuse et vive
de goûter à l'offrande
du bonheur d'aujourd'hui
